Coudées Franches…

Article : Coudées Franches…
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22 septembre 2012

Coudées Franches…

S’il est une chose qui ne manque pas d’interloquer les visiteurs, c’est la présence d’étrange tuyaux bleus, roses ou encore verts un peu partout dans Berlin. Pourquoi ces tuyaux ? Les hypothèses fleurissent, celle que je préfère étant celle-ci : « ist es Kunst ? ». Bien des réponses loufoques valent bien la véritable explication.

Par exemple : Renzo Piano, quand il coordonnait le programme architectural de la Potsdamerplatz, a été saisi d’une violente bouffée de nostalgie de son époque Beaubourg et a ressenti un violent besoin de « faire du tuyau ».



Ou encore : La DDR avait mis en place un système surpuissant de communications par pneumatiques: vu le diamètre des tuyaux, on s’imagine facilement le volume des informations à transmettre.

Et si finalement, ces tuyaux étaient là pour charrier les eaux de lavage usées ? Dans ce cas, on n’ose imaginer alors la taille des machines à laver. On voudrait aussi être sûr que c’est bien du linge qui est lavé. Et que ces eaux sont vraiment usées.

Je m’accroche à cette dernière réponse, parce que la transformation perpétuelle que ces tuyaux racontent a tout d’un lessivage à grandes eaux.

« Berlin aufräumen » : je me souviens de cette pancarte électorale dont la promesse m’avait glacé.  Je m’étais demandé ce qu’on voulait ici nettoyer. Et je me demande à présent ce qu’on rejette vraiment vers le canal ou vers la Spree? Serait-ce une certaine lenteur, une douceur de vivre, une tolérance et une pauvreté qui vaut peut-être la plus grande richesse ? Le risque de stérilisation guette, remplaçant partout l’authentique par des artefacts. Du « DDR trend » au Schloss en carton-pâte, il y a en effet de quoi s’inquiéter.

Mais en dépit des efforts parfois mégalomaniaques de son Bürgermeister, l’image d’un Berlin accédant au club des puissantes métropoles recule au fur et à mesure, comme un mirage, comme Willy Brandt (l’aéroport).

Suivre trop longtemps le trajet à perte de vue des Rohrleitungen m’a fait monter le sang à la tête : je sens bien que je m’agace. J’en serais presque amer, ce que m’interdit ma religion depuis que j’ai quitté Paris.

Je rebaisse la tête et ça va mieux. Je reprends mon chemin à taille humaine, et mes résolutions : Chercher les traces de la friche au lieu de la théoriser, préférer respirer de près les mauvaises herbes qui poussent entre les dalles des trottoirs défoncés. Ne pas s’accrocher au passé, jouir du présent, cesser de se projeter : c’est précisément ce que  Berlin m’a appris à faire. Les tuyaux passent, la vie reste.

 

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