West side Gallery

Article : West side Gallery
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12 juin 2013

West side Gallery

« C’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur », disait Jean-Marie Bigard, grand penseur français de la fin du XXe siècle. J’ajouterais que dans le cas berlinois, toujours à part, c’est aussi au pied du mur qu’on le voit disparaître.

Il y a plusieurs manières d’envisager le démontage progressif de l’East Side Gallery. Évacuons d’emblée la revendication commerciale, la grogne des bars installés là, qui ne sont pour la plupart et depuis longtemps que l’ombre mercantile des plages sauvages  et alternatives connues il y a 10 ans et plus. Au passage, je me souviens d’un de ces bars où, il y a trois ans, le serveur m’a signifié d’un ton méprisant que si je voulais être servi, il fallait que je passe ma commande en espagnol ou en anglais mais certainement pas en allemand : ça avait heurté l’immigré de fraîche date que j’étais, qui faisait tout alors pour apprendre l’allemand. Mais passons…

Je ne suis pas non plus dans un combat d’arrière-garde du type « Berlin, ce n’est plus ce que c’était » : les pays et les villes qui restent ce qu’ils sont, ou feignent de le demeurer, ne sont en général pas parmi les plus désirables (je ne cite pas de nom, mais je me comprends). Donc la ville bouge parce qu’elle est vivante, et il n’y a au fond aucune raison qu’elle échappe au mouvement global des autres capitales, qu’on le veuille ou non. Et il n’y a pas là-dedans que du négatif. Mais…

« Ich bin zum extremer Liberalismus gekauft, ist es auch gut so? »(1)

Ce qui est réellement choquant, c’est « l’explosivité » du cocktail concocté par Wowereit et sa bande. Même si on s’est lentement habitué (ce qui n’est pas bien) à ses idées idiotes, le Berliner Schloss (2) faisant ici figure de point d’acmé (avec la verrue bleue de l’Unter den Linden comme prolégomène), je dois reconnaître que l’East Side Gallery est son coup de maître ! Klaus a réussi le Hat Trick : geste « Gentryficateur » ultime, destruction de monument et mépris de l’histoire allemande, en un seul coup! Un artiste je vous dis…

La première leçon que j’en tire, c’est que j’y réfléchirai à deux fois avant de gueuler (comme tout le monde) sur les Schwäbischen dans leur volonté de juguler le bordel de cette ville. Côté normalisation, ils sont obligés de s’incliner, battus à plate couture par un UrBerliner(3).

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C’est au pied du mur…

On constate aujourd’hui à quel point l’appréciation qu’on a d’un mur dépend du côté depuis lequel on le regarde. Et ce qui est particulier à Berlin, c’est cette impression qu’il en va du mur de Berlin comme d’une pièce qui n’aurait que deux côtés pile ou deux côtés face : quel que soit le côté, le mur n’a plus que deux côtés Ouest. Comme s’il n’y avait plus que deux sortes de gens : ceux qui regrettent le régime est-allemand d’un côté (ouh, les vilains!), et les vrais amoureux de la démocratie authentique de l’autre côté. Dommage pour tous ceux qui souhaiteraient simplement mettre en perspective et en lien l’histoire de ces deux pays, en considérant à la fois les conditions de la séparation et celles de la réunification.

Que l’on construise des Luxuswohnungen (4) sur la Todesstreife (5) de l’East Side Gallery (sur son côté ouest donc) est, comme je l’ai dit plus haut, le symbole ultime de cette alchimie ultra-libérale, qui mélange le mépris social habituel avec cette forme très particulière de mépris de l’histoire. Le prétexte invoqué est, comme toujours, la faillite de la ville (la faute, sûrement, à ces salauds de pauvres, ces légions de Hartz IV Empfänger(6) qui profitent du système). Au-delà du court-termisme de cette politique (en France on est également très doué pour ça), je me demande comment il est possible d’aller aussi loin dans l’aveuglement.

Je m’attends à tout : Un jour, Wowereit revendra la Siegesäule et la Brandenburger Tor. La seule chose qui restera sûrement invendable, c’est son aéroport pourri qui, ironiquement, porte le nom du symbole majeur de l’Ostpolitik, et qui doit se retourner dans sa tombe : Willy Brandt.

Notes

1. »Je suis vendu à l’ultralibéralisme, est-ce que c’est mieux ainsi ? »: référence au coming out de Wowereit : « Ich bin Schwul, und es ist auch gut so »

2.Réplique du château des Hohenzollern, dont les ruines furent détruites par la RDA pour construire à la place le Palais de la République. ils l’ont détruit à leur tour, tout rentre dans l’ordre.

3.Berlinois d’origine. Klaus Wowereit est né à Berlin.

4.Appartements de luxe.

5.No man’s land entre les deux parties du mur de Berlin.

6.Bénéficiaires de l’équivalent allemand du RSA, encore plus contraignant que son équivalent français.

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Commentaires

manon
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Excellent article!

berlindependant
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Merci Manon !

Alex
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Très bel article!

berlindependant
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Merci beaucoup !