30 novembre 2012

Berlin Walls / Incipit

« Faire tomber les murs » est une des représentations, usées jusqu’à la trame, pour désigner plus ou moins métaphoriquement la conquête de la liberté. Non sans raison cependant, tant les murs représentent dans l’histoire la séparation, l’enfermement, … Berlin a, de ce point de vue là, servi d’étalon moderne : malheureusement pas comme étalon définitif de ce qui est inconcevable, puisque l’idée de défendre de façon aussi démonstrative qu’inefficace la puissance d’un Etat s’est exportée depuis. Du « mur de protection antifasciste » est-allemand à la « barrière de sécurité » israélienne en passant par les barrières de Ceuta et Melilla, il n’y avait qu’un pas, allègrement franchi en dépit de la logique, en dépit de l’histoire, en dépit de … en dépit.
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Les murs appellent les murs. 

Il y a en général entre les murs et autour des murs d’autres murs, qui séparent eux aussi  l’intérieur de l’extérieur; c’est dans ce cas la maison, l’immeuble et l’ensemble de ces murs forme la ville.

Intérieur / Extérieur : on ne peut s’empêcher de penser que ces différentes strates de murs sont un peu comme des poupées gigognes (je ne dis pas « poupées russes » parce qu’il y en a marre de toujours tout mettre sur le dos des russes). L’Etat, la Ville, les gens : tout le monde se protège, privatise sa protection derrière « son » mur.

Par contraste, C’est en toute logique l’absence de murs à soi qui est l’étalon ultime de la pauvreté : celui qui est à l’extérieur de toutes les protections, celui-là est vraiment misérable. Quoi de plus misérable qu’un SDF en Cisjordanie ? Le régime est-allemand l’avait bien compris, maintenant à chacun, coûte que coûte, un logement et un travail.

Il est plus rare (mais possible) que les murs soient érigés au milieu de rien, ou plutôt entre un rien apparent et ce qu’on considère comme « quelque chose », quelque chose qui a une valeur qu’il faut protéger de l’extérieur. Les barrières protégeant les enclaves de Ceuta et Melilla en sont un bon exemple. Je note d’ailleurs que, selon le point de vue, qui coïncide avec le côté du mur où on se trouve, on parle soit d’enclave, soit d’exclave. L’enclave est le point de vue exprimé de ceux qui, subissant la barrière, se sentent envahis; ceux qui l’ont initiée parlent, eux, dans une optique toute coloniale d’exclave : hasard sémantique corrélé à la vision espagnole des gens qui habitent de l’autre côté de la barrière, il n’y a qu’une lettre d’exclave à esclave… Peut-on être un peu plus cruel encore, en notant que l’Union Européenne, a successivement pleuré de joie à la chute du Mur de Berlin et financé les barrières de Ceuta et Melilla !

Berlin Walls

Mais revenons à Berlin, puisqu’ici au moins le mur est tombé. La quasi-disparition, hors des entiers de la mémoire balisée, de toute trace de ce mur, pose la question des libertés conquises du fait de cet événement historique. Pas question cependant de se lancer dans une grande analyse historico-politique pour laquelle des gens plus qualifiés ont travaillé et travaillent. L’objectif, plus modeste, est de scruter l’épiderme des murs qui restent, les murs « normaux », abandonnés à une liberté qui semble aller de soi.

Ces murs ordinaires ne sont la source d’aucun discours officiel, celui-ci s’étant reporté sur les innombrables Denkmal en tout genre qui parsèment la ville; ces monuments, qui tiennent trop souvent lieu d’affirmation définitive, ont absorbé les mots et les morts de l’histoire tourmentée de Berlin, en les cristallisant dans un épais silence, recouvert depuis par le piaillement des guides touristiques. Je repense en disant celà à l’Holocaust Denkmal, fruit d’une culpabilité à l’oecuménisme retrouvé, dont Jean-Yves Cendrey remarque fort justement qu’il se fissure lentement sous son propre poids. Ces monuments ne m’intéressent pas, parce qu’ils disent, ou tentent de dire quelque chose de définitif et d’officiel, deux tares rédhibitoires dans une ville comme Berlin.

Comme c’est le devenir qui m’intéresse, je me propose d’examiner, à la loupe, dans les mois qui viennent, des murs frappés de banalité, qui seront tout sauf le mur de Berlin, mais des murs de Berlin, aussi quelconques qu’uniques. A chaque photo, prise au hasard des balades, correspondra une description, une tentative d’extraire de la pierre un sens, une essence.

Note: La photo de l’article n’est évidemment pas berlinoise, mais illustre selon moi à merveille l’aporie de la propriété privée, que Sartre aurait pu résumer ainsi : « l’enfer, finalement,c’est moi tout seul dans mon chez moi »…

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